GUERRE CIVILE ESPAGNOLE – LA RETIRADA – LES CAMPS

Publié: 15 avril 2006 dans Histoire

EXTRAIT DE CIDER INFOS N° 10 FEVRIER 2005 

 

L’ARRIVEE A ARGELES

 

Il pleut, il fait froid en ce mois de février. On marche depuis des jours dans la boue au bord des fossés, la route étant réservée aux véhicules à moteur qui n’arrêtent pas de nous envoyer l’eau glacée  sur les jambes. On a pu  emporter quelques vêtements et surtout des couvertures, tout le monde a la sienne autour des épaules. Le pauvre mulet n’a pas mangé depuis trois jours et pourtant il ne dit rien, il a compris qu’il doit nous mener le plus  loin possible là-bas vers les montagnes, vers la frontière, ensuite il pourra mourir. Dans la charrette on a mis le pépé avec ses 85 ans, lui qui n’avait jamais quitté la ferme, 3 matelas de laine qui sont gonflés par la pluie, le poste de radio et de maigres nourritures qui baissent à vue d’œil. La petite brebis, qui suivait la charrette est morte avant hier, la pauvre ! la chienne s’est perdue en traversant le dernier village, surtout ne pas se séparer ! Devant, vers le nord ce n’est plus qu’une longue procession vers l’inconnu. Derrière ? on ne se retourne jamais.

Argelès, 3.000 habitants. Il y a quelques jours, le 22 janvier 1939, la radio  annonçait que les franquistes entreraient bientôt dans Barcelone. Un ministre espagnol aurait demandé à la France de recevoir 50.000 réfugiés : on lui répondit : « les femmes et les enfants oui, les militaires non ».  Paris a décidé d’établir un camp chez nous. Il sera implanté au nord du garage de mécanique après le Bois de pins, en bordure du nouveau lotissement Foncia. La plage dans cet endroit est déserte, à part quelques baraques de pêcheurs, c’est le sable à perte de vue. 27 janvier les réfugiés sont au Perthus, ici on plante des piquets avec des kilomètres de barbelés. 1er Février, le Ministre de l’Intérieur est très satisfait du camp d’Argelès ( ?). Les gardes mobiles, les spahis, les dragons sont déjà dans le village. A la vue de tant de militaires en armes la population s’inquiète: que va-t-il nous arriver du sud ? 6 février une marrée humaine de 500.000 réfugiés déferle sur le Roussillon. Les services français sont dépassés, le langage envers ces malheureux se résume en quatre mots « allez ! allez ! au camp ! » Les routes de la côte, du Vallespir, de Cerdagne, du Conflent sont envahies par les fiers républicains qui se traînent, baissant la tête et formant des cortèges interminables comme s’ils suivaient un enterrement ; l’enterrement de leur Liberté. Ils marchaient les larmes aux yeux, les poings fermés, vers l’inconnu sur les routes de l’exil. En quelques jours Argelès est transformé en fourmilière humaine, hommes, femmes, enfants, vieillards, blessés envahissent les rues, les places, la rivière, les cours des écoles, les entrées des maisons. Oui ! les argelésiens sont restés sans paroles devant cette misère, la seule aide qu’ils pouvaient apporter était d’offrir à boire et à manger à ceux qui réussissaient à s’arrêter un peu sur le chemin du camp. Ils avaient soif, faim, froid. Pendant trois jours et trois nuits, Argelès est noyée sous ce flot de réfugiés. On essaye bien de mettre de l’ordre, mais comment faire devant un tel désarroi ; des enfants égarés pleurent, des hommes ne trouvent plus leur épouse. Des  mamans éplorées recherchent leur famille, les moins résistants se laissent tomber dans les fossés, beaucoup y meurent. 10 février le 7ème régiment de spahis nettoie le village et la campagne, tous les réfugiés sont menés de gré ou de force derrière les barbelés du camp. En ce mois de février, Argelès devient le camp le plus important du Roussillon : 20.000 internés le 6, 60.000 le 8, 75.000 le 9 et 100.000 le 10. 100.000 ombres humaines qui se terrent et s’enterrent dans le sable. Rien n’a été prévu en cet hiver 1939 pour protéger du froid ces milliers de malheureux, tous les moyens sont bons pour essayer de se réchauffer autour de quelques brindilles, d’où la disparition de quelques pinèdes et des ceps de vignes autour du camp…

 

 

 

 

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